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Auteur/autrice : lapendulerie-admin

Comprendre les régulateurs de précision : L’évolution technique du XVIIIe siècle

4 mars 2024

Fabriqués à partir du début du XVIIIe siècle, les régulateurs sont des horloges extrêmement précises, couramment employés pour donner l’heure aux pendules et aux cartels. Leur création est profondément liée à l’évolution scientifique du siècle des Lumières, qui a considérablement amélioré la mesure du temps et fait de l’horlogerie une vraie discipline.

Dans ce présent article, nous allons aborder trois inventions phares indissociables aux régulateurs : l’équation du temps, le balancier compensateur et le remontoir d’égalité. Elles ont jeté la base technique de la précision et continuent encore aujourd’hui à influencer les créateurs de la haute horlogerie.

Équation du temps

Le soleil a longtemps régné sur l’organisation des activités humaines. Son observation systématique a donné lieu aux notions essentielles du temps. Ainsi, l’intervalle entre deux passages successifs du soleil sur un même méridien nous ont servi à définir la longueur d’un jour. C’est le jour solaire. Sa longueur est pourtant sujette à une grande variation, en raison de la trajectoire elliptique de l’orbite terrestre, qui affecte sa vitesse (au minimum à l’aphélie et au maximum au périhélie), et de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre.

Même si l’existence de cette variation fut déjà connue au Moyen-âge, elle ne commença à causer des inconvénients qu’au XVIIe siècle, quand les premières pendules relativement précises virent le jour. Lorsque leurs propriétaires tentèrent de les mettre à l’heure à l’aide d’un cadran solaire, ils remarquèrent très vite que l’heure de l’horloge et celle du cadran solaire variaient constamment l’une par rapport à l’autre.

Comme on ne pouvait guère modifier la marche de l’horloge à longueur d’année, on opta progressivement pour un système d’heures d’égale durée, c’est-à-dire le temps moyen. Ce dernier consiste à donner à chaque jour une échelle fixe en répartissant la variation des jours solaires.

Le temps moyen et le temps vrai se coïncident à quatre reprises au cours de la même année, au milieu d’avril et de juin, à la fin d’août et de décembre. Durant le reste de l’année, le soleil est tantôt en avance tantôt en retard par rapport à l’horloge. On appelle alors cet écart l’équation du temps. Elle se situe aux alentours de 15 minutes. Afin de faciliter la conversion, les horlogers se mirent à établir une table précise de l’équation dès la seconde moitié du XVIIe siècle. Christian Huygens en publia une en 1665.

Comme il devint désormais d’usage de régler les horloges selon l’équation (fig. 1), dans les premières décennies du XVIIIe siècle, les horlogers s’ingénièrent également à créer des pendules étant capable de la marquer Ce fut ainsi la véritable naissance des régulateurs de parquet.

Fig. 1 – Tables des Équation du mouvement du soleil, calculées par Claude IV Railliard et datées 1718, partiellement publiées par Antoine Thiout dans son traité d’horlogerie.

Devenu horloger ordinaire du Roi en 1739 et reçu aux galeries du Louvre, Julien Le Roy (1686-1759) fut l’un des plus éminents horlogers ayant contribué à cette indication. Il mit en place des cadran assortis de disques tournants qui marquent l’équation et la date, soit à travers des guichets (fig. 2) soit par des flèches fixées autour du cadran (fig. 3).

Fig. 2 – Cadran d’un régulateur de parquet par Julien Le Roy (détail), Paris, époque Louis XV, vers 1730. Exécuté en métal argenté, il est signé « Inventé en 1730 par Julien Le Roy de la Société des Arts ». La partie extérieure indique l’heure vraie par deux aiguilles dorées, dont celle des minutes est ornée d’un masque solaire. Il reçoit deux guichets en bas, à travers lesquels sont donnés la date ainsi que l’équation correspondante.
Fig. 3 – Cadran d’un régulateur de parquet par Julien Le Roy dans une caisse par Charles Cressent (détail), Paris, époque Louis XV, vers 1750. Il est signé « Julien Le Roy A.D. (Ancient Directeur) de la Société des Arts ». Est placé à l’extérieur du cadran principal un anneau tournant, sur lequel sont inscrites les dates et les minutes solaires. Tandis que l’anneau se déplace pour suivre l’aiguille des minutes, une flèche fixe indique la date correspondante. L’équation est obtenue en calculant l’écart entre la minute solaire et la minute moyenne, indiquées par la même aiguille.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce dispositif trouverait une représentation simplifiée, grâce à l’apparition des cadrans entièrement émaillés et par effet de mode qui prônait désormais le retour à l’antique et à la sobriété. Robert Robin (1742-1799) en réalisa un bel exemplaire en 1776 (fig. 4).

Fig. Cadran d’un régulateur de parquet par Robert Robin, dans une caisse en placage de bois de rose et amarante par Balthazar Lieutaud (détail), Paris, début de l’époque Louis XVI, 1776. Finement émaillé par Elie Barbezat, le cadran marque l’heure moyenne. . Le disque intérieur tourne en fonction de la position de l’aiguille des minutes et donne la minute solaire, de la même façon que l’équation de Le Roy mais traité d’une manière plus moderne.

Les cadrans entièrement émaillés donnèrent également la possibilité aux décors de plus en plus sophistiqués. On songea alors à y ajouter des indications supplémentaires joliment peintes, telles que le quantième, le calendrier ou les signes du zodiaque, au profit desquelles le disque de l’équation fut progressivement supprimé. À la place, la plupart des régulateurs sous Louis XVI furent désormais munis de deux aiguilles de minutes. Respectivement exécutées en bronze doré et acier, la première marquait la minute solaire et la seconde la minute moyenne. Cette mise en place demeurerait la norme jusqu’à l’époque Empire (fig. 5).

Fig. 5 – Cadran d’un régulateur de parquet par Pierre-Basile Lepaute (1750-1843), émaillé par Dubuisson (1731-1815), dans une caisse en acajou (détail), Paris, époque Empire, vers 1805. La minute solaire est indiquée par une aiguille en bronze doré ornée d’un soleil, la minute moyenne par une aiguille en acier. À travers le guichet inférieur, l’on peut lire le double calendrier annuel de types républicain et grégorien.

Balancier compensateur

Il fut constaté très tôt que la variation de température a un fort impact sur la marche des pendules. Le balancier se dilatant et se condensant sous différentes températures, sa longueur est constamment sujette au changement, entraînant avances et retards. Dès le début du XVIIIe siècle, les recherches furent menées pour construire des balanciers à compensation thermique, telles furent les expérimentations de Geroge Graham, qui mit au point vers 1720 des balanciers à ampoule contenant du mercure (fig. 6).

Fig. 6 – Balancier compensateur au mercure testé par George Graham vers 1727. British Museum.

Au départ, Graham avait tenté l’acier et le laiton mais dut très vite les écarter, car ces derniers avaient un coefficient de dilatation assez proche pour compenser celle de l’autre. Vers 1725, John Harrison reprit les anciennes pistes de Graham et arriva à obtenir un balancier où les deux métaux, façonnés en tiges, étaient alternativement disposés en gril et reliés par plusieurs traverses (fig. 7). Tandis que les tiges d’acier s’allongeaient, sous l’effet de la chaleur par exemple, et poussaient le balancier vers le bas, celles de laiton, de coefficient plus élevé, repoussaient les traverses supérieures vers le haut. Ainsi, les mouvements s’annulèrent et le centre de gravité du balancier resta constant.

Fig. 7 – Dessin d’un balancier à gril tiré du manuscrit de John Harrison en 1730.

Largement répandu à travers l’Europe, le balancier à gril (gridiron pendulum) de John Harrison fut particulièrement privilégié en France. Pendant toute la période du XVIIIe siècle, la quasi-totalité des régulateurs français en furent ainsi équipés (fig. 8). On y ajouta parfois un thermomètre pour indiquer la température selon la dilatation des métaux (fig. 9). Il fallut attendre la première moitié du XIXe siècle pour assister au vrai gain de faveur pour les balanciers au mercure.

Fig. 8 – Balancier à gril d’un régulateur de bureau à mouvement squelette par Jacques-Joseph Lepaute (détail), Paris, époque Louis XVI, vers 1783. La beauté du balancier est mise en valeur par la structure sobre de l’horloge ainsi que son imposante lentille, toutes deux exécutées en bronze finement ciselé et doré. La beauté du balancier est mise en valeur par la structure sobre de l’horloge ainsi que son imposante lentille, toutes deux exécutées en bronze finement ciselé et doré.
Fig. Balancier à gril d’un régulateur de parquet par Jean-Simon Bourdier (détail), Paris, fin de l’époque Louis XVI, vers 1785-1790. Le thermomètre est placé sur une lentille exécutée d’après les théories de John Ellicott.

Remontoir d’égalité

Bien que très complexe à mettre en place, le remontoir d’égalité permet de convertir la force du ressort en force du poids, ce qui augmente naturellement la précision, car le ressort, quand bien même équipé d’une fusée, perd inévitablement de puissance au fur et à mesure qu’il se désarme. Ce problème peut être largement remédié par l’introduction du remontoir, qui va détourner la force du ressort pour alimenter un petit poids. Ce dernier, à son tour, va servir de force motrice pour le mécanisme. À chaque fois que le poids descend à la fin de son parcours, la force du ressort le relève à sa position de départ.

Ce dispositif fut mis au point par l’horloger Robert Robin (1742-1799), qui en 1772 soumit son idée à l’Académie Royale de Sciences dans le « mémoire contenant des réflexions sur les propriétés du remontoir ». Robin en deviendrait célèbre par la suite. L’influence fut telle que Louis Moinet consacra des passages entiers au remontoir de Robin dans son ouvrage publié quelques décennies plus tard (fig. 10)

Fig. 10 – Dessin du remontoir d’égalité par Robert Robin, illustré dans le traité d’horlogerie de Louis Moinet.

Parfaitement adapté aux petites dimensions tout en gardant le maximum de précision, le remontoir d’égalité jette la base des régulateurs de bureau, dont Robin est le véritable initiateur. Logées dans des caisses entièrement vitrées, les créations de Robin exposent fièrement aux yeux des amateurs la finesse et la technicité de leur mouvement qui à chaque fois est spécialement conçu et présente toujours des variations par rapport aux autres. Leurs caisses, quant à elles, restent plus ou moins uniformes. Exécutées souvent en bronze doré et sobrement décorées, elles ont pour vocation principale de protéger le mécanisme et de le mettre en valeur, tout en conservant une esthétique au goût du jour.

Fig. 11 – Remontoir d’égalité d’un régulateur de bureau signé « Cronier Jeune élèvre de Robin », Paris, époque Consulat, daté 1800. Même si les rares pièces qui portent cette signature sont toutes des chefs-d’œuvre, on ne connaît que très peu de la vie de ce mystérieux horloger. Quoi qu’il en soit, il fut très certainement l’un des meilleurs disciples de Robert Robin.

D’autres horlogers vont construire leurs propres régulateurs de bureau suivant l’exemple de Robin. Les plus talentueux parmi eux vont également mettre en place des remontoirs qui respectent toujours le même schéma. Tel est le cas de Cronier Jeune, élève de Robin (fig. 11), et des Lepaute. Ces derniers sont mentionnés en 1808 dans le registre du Garde-Meuble impérial pour la livraison d’un régulateur à remontoir pour le palais de Saint-Cloud. L’horloge livrée (fig. 12) est logée dans une caisse semblable à celles que Robin a utilisées deux décennies auparavant.

Fig. 12 – Régulateur de bureau à remontoir d’égalité, livré en 1808 pour le prix de 1500 francs par Lepaute pour le salon cramoisi des petits appartements de l’Empereur au palais de Saint-Cloud. Paris, Mobilier national.

Y. Huang

Le Figaro Magazine

30 décembre 2022