Exceptionnelle pendule de cheminée en bronze très finement ciselé, patiné « à l’antique » et doré à l’or mat ou à l’or moulu
« Le Rhinocéros au Chinois »
Cadran et mouvement signés par le maître horloger Jean-Baptiste III Baillon
Contre-émail signé « a.n. Martinière » par l’émailleur Antoine-Nicolas Martinière
Dans une caisse attribuée au maître fondeur Jean-Joseph de Saint-Germain
Paris, époque Louis XV, vers 1750.
Bibliographie :
– Elegance and Wonder: Masterpieces of European Art from the Jordan and Thomas A. Saunders III Collection, Virginia Museum of Fine Arts, Richmond, Virginie, mai 2022-octobre 2023.
– J-D. Augarde, Une Odyssée en Pendules, Chefs-d’œuvre de la Collection Parnassia, Volume I Les Pendules Classiques, Éditions Faton, Dijon, 2022, p.276-279, ref n°70
Le cadran circulaire émaillé blanc, signé « Jean-Baptiste Baillon », indique les heures en chiffres romains alternées de fleurs de lys or en applique et les minutes par tranches de cinq en chiffres arabes par deux aiguilles en cuivre repercé, ciselé et doré ; le contre-émail est signé « a.n. Martinière ». Le mouvement, à sonnerie des heures et des demi-heures, est signé, localisé et numéroté « JBte Baillon à Paris/n°1915 » et s’inscrit dans une caisse entièrement réalisée en bronze très finement ciselé, patiné « à l’antique » et doré à l’or mat ou à l’or moulu. La boite circulaire, à lunettes en joncs rythmés de feuillages, est soulignée sur ses côtés de branchages fleuries et supporte une figure chinoise reposant sur un enrochement ; à l’arrière, la plaque découvrant le mécanisme est en cuivre repercé à motifs de fleurons, crosses et feuillages, se détachant sur un fond de tissu framboise. L’ensemble est supporté par une superbe figure d’un rhinocéros représenté la tête levée, les oreilles dressées et grognant la gueule largement entre-ouverte ; sa peau en carapace est traitée « au naturel ». L’animal est fièrement dressé sur ses quatre pattes et repose sur une base rocaille à motifs de crosses, feuillages et touffes d’herbe.
Cette pendule est une parfaite illustration de l’engouement des grands amateurs parisiens pour l’exotisme et le naturalisme, et plus largement pour toute manifestation étrangère à la culture européenne révélatrice d’une forme de curiosité propre à l’esprit « des Lumières » du XVIIIe siècle. Sa composition originale fait écho au premier spécimen de rhinocéros, venu d’Asie et dénommé Clara, qui fut présenté à Louis XV en 1749 à la Ménagerie du château de Versailles et qui suscita une exceptionnelle admiration auprès d’un public parisien fasciné par ce mammifère à mi-chemin entre réalité et superstition. Comme souvent, ce type de manifestations entraîna des répercutions dans les arts décoratifs de l’époque, particulièrement par la création de modèles d’horloges mettant en scène cet animal. C’est le célèbre bronzier parisien Jean-Joseph de Saint-Germain qui décida, certainement à la demande de grands collectionneurs ou de grands marchands-merciers, de réaliser des modèles avec certaines variantes, notamment dans l’attitude plus ou moins paisible du rhinocéros et dans le traitement de la figure sommitale. L’exemplaire que nous présentons peut-être sans équivoque rattaché à l’œuvre de Saint-Germain car quelques rares modèles similaires avec variantes portant, insculpée dans le bronze, la signature de cet artisan d’exception sont connus.
Un premier type, qui correspond à une position inversée du rhinocéros, est connu, de cette composition particulière, nous pouvons citer notamment : un premier exemplaire, le mouvement signé Dutertre, qui est exposé au Musée des arts décoratifs de Lyon (voir P. Arizzoli-Clémentel, Ô Temps suspends ton vol, Catalogue des pendules et horloges du Musée des Arts décoratifs de Lyon, Lyon, 2008, p.59) ; ainsi qu’un deuxième, anciennement dans la collection Roberto Polo, qui présente un cadran signé Gille l’aîné et est illustré dans J-D. Augarde, Les ouvriers du Temps, Genève, 1996, p.156, fig.123 ; et un troisième, le cadran signé « Viger à Paris », qui provient de la collection de M. et Mme René Grog-Carven et est conservé au Musée du Louvre (paru dans D. Alcouffe, A. Dion-Tenenbaum et G. Mabille, Les bronzes d’ameublement du Louvre, Dijon, 2004, p.79, catalogue n°34). Enfin, relevons les rares modèles sur lesquels le rhinocéros est tourné vers la gauche du spectateur et qui se rapprochent de celui que nous proposons : un premier est illustré dans Tardy, La pendule française des origines à nos jours, Ier Partie : De l’Horloge gothique à la pendule Louis XV, Paris, 1974, p.173 ; tandis qu’un second, le cadran de « Martin à Paris », est reproduit dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Band II, Munich, 1986, p.525, fig.2 ; ce dernier modèle est comparable à celui qui apparaît sur le tableau de Laurent Pécheux représentant la Princesse Marie-Louise de Bourbon-Parme qui est conservé au Palais Pitti à Florence (voir H. Ottomeyer et P. Pröschel, op.cit., Band I, p.122, fig.2.8.1).
Jean-Baptiste III Albert Baillon (? - 1772)
Cet excellent horloger, également un grand innovateur, est considéré par F.J. Britten comme étant « l’horloger le plus riche de l’Europe » à son époque. L’un des meilleurs horlogers de son temps, il appartient à l’une des plus importantes dynasties horlogères du XVIIIème siècle, étant sans doute le plus célèbre membre de la famille. Sa réussite est due, entre autres, à l’importante manufacture privée qu’il fonda à Saint-Germain-en-Laye, établissement unique dans l’histoire de l’horlogerie du XVIIIème siècle.
Dirigée de 1748 à 1757 par Jean Jodin (1715-61), elle continue de fonctionner jusqu’à ce que Baillon la ferme en 1765. Le célèbre horloger Ferdinand Berthoud fut impressionné par la quantité et la qualité de ses produits ; en 1753 il nota : « Sa maison est le plus bel et riche Magasin de l’Horlogerie. Les Diamant sert non seulement à décorer ses montres, mais même des Pendules ; Il en a fait dont les Boetes étoïent de petits Cartels d’Or, ornés de fleurs de Diamans imitant la Nature… Sa maison de St-Germain est une espèce de Manufacture. Elle est remplie d’Ouvriers continuellement occupés pour lui… puisque lui seul fait une bonne partie de l’Horlogerie ».
La clientèle de Baillon comprend les familles royales françaises et espagnoles et le Garde-Meuble de la Couronne, ainsi que des personnalités influentes à la cour et dans la bonne société parisienne.
Le père de Baillon, Jean-Baptiste II (m. 1757) est un maître horloger parisien ; son grand-père, Jean-Baptiste I de Rouen, était également un horloger. Son fils, Jean-Baptiste IV Baillon (1752 – vers 1773) devient aussi horloger. Baillon lui-même est fait maître-horloger en 1727. En 1738 il est nommé valet de chambre-horloger ordinaire de la reine, puis, avant 1748, premier valet de chambre de la reine, et en 1770, premier valet de chambre et valet de chambre-horloger ordinaire de la dauphine de Marie-Antoinette. Dès 1738 il s’établit Place Dauphine ; après 1751 on le trouve rue Dauphine.
Baillon était très exigeant quant à la qualité des boîtes et des cadrans. Ces derniers étaient fournis par Antoine-Nicolas Martinière et Chaillou ; les boîtes étaient de Jean-Baptiste Osmond, Balthazar Lieutaud, les Caffieri, Vandernasse, et Edmé Roy Jean-Joseph de Saint-Germain (qui a également fait des boîtes à l’éléphant et au rhinocéros).
Jean-Baptiste Baillon s’enrichit grâce à son succès ; à sa mort le 8 avril 1772, on estime sa fortune à 384,000 livres. Une première vente de sa collection d’art et d’objets d’art est tenue le 16 juin 1772 ; les objets restant, évalués à 55,970 livres, sont offerts à nouveau le 23 février 1773. La vente comprend 126 montres terminées pour un total de 31,174 livres, et 127 mouvements de montres terminés, à 8,732 livres. La catégorie des pendules, dont la valeur montait à 14,618 livres, comprend 86 pendules, 20 mouvements de pendules, sept boîtes de pendules en marqueterie, une boîte en porcelaine et huit en bronze.
Aujourd’hui l’œuvre de Baillon est conservée dans les collections les plus prestigieuses du monde, y compris les musées du Louvre, des Arts Décoratifs, le conservatoire national des arts et métiers, le Petit Palais et le musée Jacquemart-André à Paris ; le château de Versailles ; le musée Paul Dupuy à Toulouse ; la Residenz Bamberg ; le Neues Schloss, Bayreuth; le Museum für Kunsthandwerk, Frankfurt ; la Residenz à Munich et le château Schleissheim. D’autres exemples sont dans les collections des musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles ; le Patrimonio Nacional d’Espagne ; le Metropolitan Museum de New York ; le Newark Museum ; Walters Art Gallery de Baltimore et Dalmeny House, South Queensferry.
Antoine-Nicolas Martinière (1706 - 1784)
Antoine-Nicolas Martinière est un émailleur du XVIIIème siècle et « Pensionnaire du Roy ». Il collabora avec de grands noms, tels que le bronzier Jean-Joseph de Saint-Germain et les horlogers Jean-Baptiste III Albert Baillon, Etienne Le Noir et Jean-Baptiste Gosselin.
Jean-Joseph de Saint-Germain (1719 - 1791)
Est probablement le plus célèbre bronzier parisien du milieu du XVIIIe siècle. Actif à partir de 1742, il est reçu maître en juillet 1748. Il est surtout connu pour la création de nombreuses caisses de pendules et de cartels qui firent sa notoriété, notamment le cartel dit à la Diane chasseresse (voir un exemplaire conservé au Musée du Louvre), la pendule supportée par deux chinois (voir un modèle de ce type aux Musée des Arts décoratifs de Lyon), ainsi que plusieurs pendules à thématiques animalières, essentiellement à éléphants et rhinocéros (exemple au Musée du Louvre). Vers le début des années 1760, il joue également un rôle primordial dans le renouveau des arts décoratifs parisiens et dans le développement du courant néoclassique, en réalisant notamment la pendule dite au génie du Danemark sur un modèle d’Augustin Pajou pour Frédéric V du Danemark (1765, conservée à l’Amalienborg de Copenhague). Saint-Germain crée plusieurs pendules inspirées par le thème de l’Etude, sur un modèle de Louis-Félix de La Rue (exemples au Louvre, à la Fondation Gulbenkian, Lisbonne, et au Musée Metropolitan de New York).
Parallèlement à ses créations horlogères, Saint-Germain réalise également de nombreux bronzes d’ameublement – y compris chenets, appliques, et candélabres – en faisant toujours preuve de la même créativité et démontrant ses talents exceptionnels de bronzier. Il se retire des affaires en 1776.