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Le Roy  -  Cressent
Julien II Le Roy (1686-1759)
Charles Cressent (1685-1768)

Exceptionnel régulateur dit « de parquet » en placage d’amarante et bronze très finement ciselé, mouluré et doré à indication manuelle de l’équation du temps et calendrier perpétuel

Signature

Cadran et mouvement signés par l’horloger Julien II Le Roy

Dans une caisse attribuée sans équivoque à Charles Cressent

Paris, époque Louis XV, vers 1750

Hauteur221,5 cm Largeur57,5 cm Profondeur24 cm

Le cadran circulaire en cuivre ou laiton doré est signé dans un cartouche, gravé « Julien Le Roy A.D (comprenez Ancien Directeur) de la Société des Arts », qui se détache sur un fond de croisillons centrés de fleurettes ou de quartefeuilles. Il indique les heures en chiffres romains, les minutes et les secondes en chiffres arabes par trois aiguilles en acier poli et marque manuellement sur sa bordure extérieure l’équation du temps sur un cercle réglable selon la date par l’intermédiaire d’un pignon placé à la périphérie. Le mouvement, également signé « Julien Le Roy à Paris », est à poids sur corde sans fin et à sonnerie des heures et des demies heures activée par un ressort sur roue de compte et déclenchée par un petit pignon accessoire lié à la couronne d’équation. L’ensemble est renfermé dans une caisse violonée entièrement réalisée en placage de feuilles de bois d’amarante disposées en frisage dans des encadrements de filets de laiton qui soulignent les courbes de l’horloge ; cette dernière ouvre par deux vantaux permettant d’accéder à l’intérieur de la caisse et repose sur une plinthe quadrangulaire supportée par quatre pieds raves en bois noirci ou ébène.

L’horloge est très richement décorée d’une ornementation de bronze très finement ciselé, mouluré et doré à motifs rocailles et allégoriques. L’amortissement est agrémenté d’une figure en ronde-bosse aux ailes déployées représentant le Temps menaçant, allongé et légèrement enveloppé dans une draperie, qui tient une faulx levée dans sa main droite ; il surmonte un chapiteau curviligne souligné d’un cartouche, centré d’un mascaron s’épanouissant d’une coquille stylisée, dont les côtés se terminent en enroulements de rinceaux ; la lunette, ciselée d’une frise d’entrelacs centrés de fleurettes et bordée d’un anneau à crosses et cabochons alternés, est flanquée de deux motifs rocailles à feuilles d’acanthe, graines et enroulements. La lanterne repose sur un entablement quadrangulaire, décoré aux angles d’écoinçons à réserves amaties, qui surmonte une frise d’oves soulignée en façade d’un large motif d’enroulements et de feuillages reposant sur un superbe masque chinoisant, le visage se détachant d’un motif rocaille agrémenté de rubans dans sa partie basse ; les côtés à motifs de crosses et de rinceaux feuillagés. La partie médiane de la caisse, foncée d’une glace, présente un élément en pelta à encadrements moulurés soulignés de motifs déchiquetés, de rinceaux, de branchages et de pampres de vigne ; la base est agrémentée de deux petits motifs feuillagés.

Bien qu’il ne porte ni signature, ni estampille, cet important régulateur peut être rattaché sans équivoque à l’œuvre de Charles Cressent. En effet, sa composition générale, les essences de bois de placage employées, son décor original de bronze ciselé et doré, ainsi que la signature de l’horloger Julien II Le Roy, dont la signature apparaît sur pas moins de six régulateurs de l’ébéniste sur la quinzaine à ce jour répertoriée, sont autant d’éléments déterminants permettant une telle attribution. L’œuvre biographique consacré à cet artisan par Alexandre Pradère étudie méthodiquement la carrière de Cressent qui, parallèlement à la réalisation « classique » de meubles tels que des commodes, bureaux plats, bibliothèques, encoignures, armoires, médailliers…se spécialisa également, à l’instar de son célèbre confrère André-Charles Boulle (1642-1732), dans la confection de bronzes d’ameublement et de sculptures essentiellement commandés par les grands collectionneurs pour lesquels Cressent travaillait et qui démontrent son exceptionnelle créativité et la qualité toujours irréprochable de ses fontes. Cela lui valut de nombreux conflits avec la corporation des maîtres bronziers régie par les lois strictes des anciennes corporations parisiennes et dont les membres détenaient l’exclusivité du travail du bronze. Toutefois, Cressent continua à fondre ses propres modèles de bronzes dans son atelier, ce qui lui permit notamment d’en protéger la propriété. Cette particularité, certainement obtenue et conservée grâce à l’appui des puissants commanditaires de Cressent tel que le Régent, confère aux réalisations de l’ébéniste-sculpteur une esthétique ornementale ou sculpturale si particulière qu’elle en est également sa véritable signature.

Dans le domaine de l’horlogerie, Cressent appliqua ces mêmes principes décoratifs en privilégiant les jeux des placages ou de marqueterie agrémentés de bronzes dorés ou vernis superbement ciselés. Il sut également parfaitement s’adapter au renouveau des arts décoratifs de la fin du règne de Louis XIV en concevant des caisses de pendules, de cartels et de régulateurs, qui participèrent à la renommée exceptionnelle qu’il connut sous la Régence et dans les premières décennies du règne de Louis XV. Concernant plus précisément les régulateurs, l’ébéniste confectionna un type de caisses violoné qu’il déclina principalement en trois différents types en variant les bois de placage, essentiellement amarante et satiné, et en jouant habillement sur l’ornementation de bronze. De nos jours, une quinzaine d’exemplaires est répertoriée et appartient aux plus importantes collections privées et publiques internationales. Le premier type est agrémenté de deux têtes de Borée sous le cadran et d’une figure sculpturale du Temps à l’amortissement ; de ce modèle citons notamment les deux exemplaires qui appartiennent aux collections de la reine d’Angleterre (illustrés dans C. Jagger, Royal Clocks, The British Monarchy & its Timekeepers 1300-1900, Londres, 1983, p.126, figs.169-170) ; ainsi qu’un troisième qui est exposé au Musée du Louvre à Paris (reproduit dans D. Alcouffe, A. Dion-Tenenbaum et A. Lefébure, Le mobilier du Musée du Louvre, Tome 1, Editions Faton, Dijon, 1993, p.124, catalogue n°38). Soulignons également qu’une horloge de ce modèle fut proposée aux enchères à Paris en février 1761, lors de la dispersion de la collection du puissant trésorier de la Marine Marcellin-François de Selle, grand amateur des œuvres de Cressent : « Une pendule à secondes, très estimée des connaisseurs, faite par Ferdinand Berthoud ; elle marque les équations par elle-même, seconde minute d’équation, le tout concentré ; sa boite qui a 6 pieds et demi de haut, est garnie de bronzes dorés d’or moulu, de la composition du sieur Cressent ; au-dessus de la boite qui renferme le mouvement, est représenté une figure ailée représentant le temps, tenant sa faulx ; cette figure est de ronde bosse, d’un beau modèle et parfaitement bien réparée ; deux têtes en relief qui représentent des vents, sont au-dessous du cadran : cette pendule peut être placée dans les plus beaux cabinets ».

Le deuxième type est également décoré de deux masques de Borée, mais le sommet est orné d’un motif rayonnant semblant émerger d’un chaos ; de ce modèle mentionnons particulièrement un premier régulateur, le cadran signé « Jean-Baptiste Baillon », qui se trouvait anciennement dans la collection de Marcel Bissey (Vente à Paris, Hôtel Drouot, Me Binoche, le 6 novembre 1991, lot 14) ; ainsi qu’un second, le cadran signé « Julien Le Roy de la Société des Arts » qui a fait partie de la collection Lopez-Terragoya (paru dans A. Pradère, op.cit., p.304, catalogue n°263). Notons qu’une variante de ce deuxième type présente une caisse de moindre hauteur soulignée de motifs de palmes chers à Cressent et que l’on retrouve notamment sur certains cartels de l’ébéniste ; un exemplaire de ce modèle, provenant des collections du château d’Ermenonville, appartient aux collections du Musée des Arts décoratifs de Lyon (voir le catalogue de l’exposition Ô Temps ! Suspends ton vol, Lyon, 2008, p.55-56, catalogue n°13).

Enfin, un troisième type de régulateurs, auquel appartient l’exemplaire que nous proposons, peut être considéré comme le modèle à la composition la plus aboutie et la plus équilibrée. De ce dernier type, sont connues : une première horloge, anciennement dans la collection de Richard Wallace, qui est photographiée dans la Grande Galerie de l’hôtel de la rue Laffitte en 1912 (voir P. Hugues, The Wallace Collection, Catalogue of Furniture, III, Londres, 1996, p.1555) ; ainsi qu’une seconde, portant l’estampille de Pierre Migeon (qui dut agir en tant que restaurateur), conservée dans une collection privée (reproduite dans Sophie Mouquin, Pierre IV Migeon 1696-1758, Au cœur d’une dynastie d’ébénistes parisiens, Les éditions de l’amateur, Paris, 2001, p.118). Enfin, relevons particulièrement que le régulateur présenté semble être le seul muni de cet ingénieux système manuel d’indication du temps qui pourrait correspondre à la mise en pratique d’une invention présentée par Pierre II Le Roy, frère de Julien II Le Roy, à l’Académie des Sciences en 1728.

Julien II Le Roy (1686 - 1759)

Né à Tours, il est formé par son père Pierre Le Roy ; à treize ans il avait déjà fabriqué une pendule. En 1699 Julien Le Roy emménage à Paris, où il devient l’apprenti de Le Bon. Reçu maître-horloger en 1713, par la suite il devient juré de la guilde ; il est juré de la Société des Arts de 1735 à 1737. En 1739 il devient horloger ordinaire du Roi Louis XV. Il n’occupe jamais le logement qu’on lui accorde au Louvre, mais le laisse à son fils Pierre (1717-1785) et continue de travailler rue de Harlay. Le Roy est à l’origine de nombreuses innovations, y compris le perfectionnement d’horloges monumentales indiquant l’heure moyenne et l’heure vraie. Le Roy travaille sur les mouvements à équation, ainsi que des mécanismes de répétition à tirage. Il adopte l’échappement à cylindre de George Graham, rendant les montres plus plates. Il choisit ses caisses chez les meilleurs artisans, tels que les Caffieri, André-Charles Boulle, Jean-Joseph de Saint-Germain, Robert Osmond, Balthazar Lieutaud et Antoine Foullet. Ses cadrans sont fournis par Antoine-Nicolas Martinière, Nicolas Jullien et peut-être Elie Barbezat. Le Roy a beaucoup amélioré l’horlogerie parisienne. Grâce à son amitié avec les horlogers britanniques Henry Sully et William Blakey, plusieurs excellents horlogers anglais et hollandais ont pu entrer dans les ateliers parisiens.

Les œuvres de Julien Le Roy se trouvent aujourd’hui dans les plus grandes collections du monde, y compris les Musées du Louvre, Cognacq-Jay, Jacquemart-André et le Petit Palais à Paris ; le Château de Versailles, le Victoria and Albert Museum et le Guildhall à Londres et Waddesdon Manor dans le Buckinghamshire ; le Musée International d’Horlogerie de La Chaux-de-Fonds et le Musée de Zeitmessung Bayer à Zurich ; le Rijksmuseum d’Amsterdam et les Musées Royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles ; le Museum für Kunsthandwerck de Dresde ; le National Museum de Stockholm et le Musea Nacional de Arte Antigua de Lisbonne. Aux Etats-Unis on trouve des œuvres de Le Roy au J. P. Getty Museum de Californie; la Walters Art Gallery de Baltimore et le Detroit Institute of Art.



Charles Cressent (1685 - 1768)

Charles Cressent figure parmi les plus importants ébénistes parisiens du XVIIIe siècle et est probablement le plus célèbre artisan en meubles de l’esprit Régence qu’il véhicula dans ses réalisations d’ébénisterie et de sculpture tout au long de sa carrière. Fils d’un sculpteur du Roi, il s’exerce à la sculpture à Amiens où réside son grand-père, lui-même sculpteur et fabricant de meubles. Ses débuts sont donc dominés par l’apprentissage des techniques de la sculpture, si bien qu’en 1714, c’est en présentant une œuvre dans cette spécialité qu’il est reçu à l’Académie de Saint Luc. Il s’établit alors à Paris et commence à travailler pour certains confrères, puis épouse la veuve de l’ébéniste Joseph Poitou, ancien ébéniste du duc Philippe d’Orléans, alors Régent du royaume. Par ce mariage, il prend en charge la direction de l’atelier et continue l’activité si brillamment qu’il devient à son tour le fournisseur privilégié du Régent, puis à la mort de ce dernier, en 1723, de son fils Louis d’Orléans qui lui passe de nombreuses commandes et lui assure une grande prospérité au cours de ces années-là. Rapidement sa notoriété dépasse les frontières du royaume et certains princes et rois européens commandent des œuvres à l’ébéniste, particulièrement le roi Jean V du Portugal et l’Electeur Charles Albert de Bavière. En France, il s’était composé une riche clientèle privée comprenant des membres de la haute aristocratie, tel le duc de Richelieu, et des grands collectionneurs, notamment le puissant trésorier général de la marine Marcellin de Selle. Cressent n’aura de cesse tout au long de sa carrière de créer, à l’encontre des lois de la corporation des bronziers, ses propres modèles de bronzes fondus dans son atelier ; cette particularité, que l’on retrouve également chez André-Charles Boulle, apporte à son œuvre une grande homogénéité et démontre surtout ses talents exceptionnels de sculpteur.