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Sotiau  -  Daguerre  -  Sèvres

Exceptionnelle pendule de cheminée en bronze finement ciselé et doré et plaques de porcelaine de Sèvres

APF_Pendule125_05

Le cadran émaillé par Georges-Adrien Merlet

Sous la supervision du marchand-mercier Dominique Daguerre

Manufacture royale de Sèvres et Paris, époque Louis XVI, 1782

Hauteur62.5 Largeur48 Profondeur16.5

Provenance :

– Probablement livrée vers 1785 par Dominique Daguerre au duc de Saxe-Teschen.

– Ancienne collection Cécile de Rothschild, Paris.

 

Le cadran circulaire émaillé, signé « Sotiau à Paris », indique les heures en chiffres romains, les minutes par tranches de quinze en chiffres arabes, les quantièmes du mois et les jours de la semaine, par quatre aiguilles, dont deux repercées en bronze doré et deux en acier poli ; il porte au revers la marque « G. Merlet », signature de Georges-Adrien Merlet, l’un des meilleurs émailleurs parisiens de l’époque, confrère et concurrent de Joseph Coteau et d’Etienne Gobin, dit Dubuisson. Le mouvement s’inscrit dans une superbe caisse architecturée en forme de borne antique entièrement réalisée en bronze très finement ciselé et doré : l’amortissement est orné de deux amours ailés assis sur des nuées, l’un tenant une flèche dans sa main gauche, qui soutiennent un médaillon bordé d’une frise d’enfilage de perles et souligné de guirlandes de roses s’épanouissant sur la corniche ; l’entablement, à frises d’oves et de canaux, est supporté par une borne à chutes fleuries et feuillagées, flanquée de quatre colonnettes doriques cannelées à bases et chapiteaux moulurés, reposant sur une terrasse à réserves à canaux et points rythmée en façade d’un ressaut à doucine ciselée de feuilles d’acanthe et de fleurettes alternées ; l’ensemble repose sur une base quadrangulaire, à avant-corps, ceinturée de tigettes en métal bleui dans des jeux d’enroulements de rubans et ornée de pieds « toupies » ouvragés de feuilles d’acanthe.

La pendule est décorée de onze plaques de porcelaine à encadrement bleu céleste de la Manufacture royale de Sèvres. Le médaillon de l’amortissement est centré d’une plaque ovalisée figurant un amour ailé assis sur un nuage qui tient une longue-vue et un rouleau sur lequel est inscrit : « Observations sur l’Usage des Barom(ètres) » ; sous le cadran une deuxième plaque rectangulaire, curviligne dans sa partie haute, représente un putti, assis sur un nuage et ceint d’une draperie de couleur parme, occupé à prendre des mesures avec un compas sur un cadran solaire, sur son côté droit est un ouvrage intitulé « Gnomonique ou l’Art de faire des Cadrans » ; ces deux plaques portent au revers les indications de la Manufacture de Sèvres : la lettre date « EE » pour 1782, la marque « 2000 » signature du doreur Henry-François Vincent père et la lettre « » du peintre de figures Charles-Nicolas Dodin (1734-1803). La base est centrée d’une plaque rectangulaire, à courses de roses alternées de fleurettes, centrée d’un médaillon figurant un paysage en perspective animé d’un coq, d’une poule et de leurs poussins picorant ; elle porte au revers les marques de la Manufacture de Sèvres : la lettre date « EE » pour 1782, la marque « cp » du peintre d’oiseaux Antoine-Joseph Chappuis l’aîné, une fleur de lys pour le peintre de fleurs Vincent Taillandier et la signature du doreur Michel-Barnabé Chauvaux père. La borne comporte quatre plaques rectangulaires à motifs de chutes fleuries et feuillagées entrelacées de rubans et la base est décorée de quatre plaques à frises de roses alternées de fleurettes, également réalisées en porcelaine de Sèvres.

La seconde moitié du XVIIIe siècle français est une période exceptionnelle dans le domaine de la création artistique ; les meilleurs peintres, sculpteurs, architectes, horlogers, ébénistes, menuisiers, bronziers…sont patronnés par de puissants mécènes qui n’hésitent pas à financer leurs réalisations, parfois à hauteur de plusieurs dizaines de milliers de livres, sommes colossales. Dans le domaine particulier des arts décoratifs, nous assistons à une effervescence hors du commun qui découle très certainement du renouveau total des schémas et des motifs ornementaux qui font suite aux découvertes des cités romaines dans la région de Naples et qui engendreront un nouveau style : le Néoclassicisme, lui-même héritier du Classicisme du règne de Louis XIV. Une catégorie bien spécifique d’objets d’art sera particulièrement à l’honneur au cours de cette période : les bronzes d’ameublement, et, à l’intérieur de celle-ci, les pendules qui connaîtront une période de création sans précédent. L’intégration de porcelaine dans leur décor s’inscrit dans la lignée des réalisations du règne de Louis XV dans lesquelles figures, animaux et fleurettes en porcelaine de Meissen ou de Vincennes-Sèvres, participaient à leur ornementation. Sous Louis XVI, l’on assiste à l’invention d’un nouveau type d’horloges particulièrement luxueux : les pendules agrémentées de plaques de porcelaine polychrome réalisées à la Manufacture royale de Sèvres. Au début de la période, le marchand Simon-Philippe Poirier, qui possédait le monopole des commandes auprès de la manufacture, se distingue particulièrement par son inventivité, puis, à partir de 1777, c’est son associé et successeur, Dominique Daguerre, qui conserve le monopole des commandes et qui sera à l’origine de la création du modèle de la pendule que nous proposons, uniquement déclinée en trois exemplaires tous commandés par de grands collectionneurs européens. Pour parvenir à cette création, Daguerre fit intervenir les meilleurs artisans du moment : l’émailleur Georges-Adrien Merlet et l’horloger Renacle-Nicolas Sotiau ; concernant la caisse en bronze doré, nous pouvons l’attribuer soit à François Rémond (vers 1747-1812), soit à Pierre-Philippe Thomire (1751-1843), deux des plus importants bronziers parisiens du temps avec lesquels Daguerre collabora en exclusivité ; cette attribution nous a été aimablement confirmée oralement par Monsieur Christian Baulez, conservateur honoraire du Château de Versailles.

À ce jour, seules deux autres pendules de composition identique, avec quelques infimes variantes, sont répertoriées et leur provenance respective est attachée à de grandes personnalités européennes. La première, également datée 1782 et signée Sotiau, provient de la collection J. Pierpont Morgan et appartient aux collections de la Huntington Collection à San Marino en Californie ; son médaillon sommital renferme le portrait de l’archiduc Maximilien de Habsbourg, dernier électeur et archevêque de Cologne (illustrée dans Robert R. Wark, French Decorative Art in the Huntington Collection, San Marino, 1961, p.97, fig.85) ; son historique a récemment été découvert ; elle fut exécutée pour le prince Maximilien de Habsbourg (1756-1801), frère de la reine Marie-Antoinette, qui l’offrit vers 1785 au prince Wenceslas de Saxe (1739-1812) (voir S. Bennett et C. Sargentson, French Art of the Eighteenth Century at the Huntington, 2008, p.149-151, catalogue n°48).

La seconde, signée par l’horloger Louis Montjoye et datée 1782, est exposée au Rijksmuseum d’Amsterdam (parue dans P. Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p.37, fig.28) ; vendue en 1932 par le gouvernement soviétique, elle avait été acquise à Paris en 1782 par le futur Tsar Paul Ier et son épouse Marie Féodorovna, qui voyageaient en Europe à cette époque sous les patronymes de comte et comtesse du Nord ; sur un cliché du début du XXe  siècle, la pendule apparaît sur le manteau de la cheminée de la chambre à coucher de Marie Féodorovna au Palais de Pavlovsk (voir A. Darr, The Dodge Collection : Eighteenth-Century French and English Art in the Detroit Institute of Arts, 1996, p.17).

La pendule que nous proposons a également probablement une provenance historique exceptionnelle. En effet, sa composition originale reprend directement un dessin anonyme, provenant de la collection Esmerian, qui est conservé au Metropolitan Museum of Art (voir R. Baarsen, Paris 1650-1900 Decorative Arts in the Rijksmuseum, New Haven, 2013, p.428, fig.103). Ce dessin ne doit pas être considéré comme un projet préparatoire en vue de la création de l’horloge, mais certainement comme une planche de présentation envoyée par Daguerre au duc de Saxe-Teschen, qui faisait ainsi découvrir à cet important collectionneur les pièces disponibles à la vente dans son magasin parisien. Cette hypothèse semble être confirmée par la connaissance de plusieurs planches qui auraient le même dessein et sur lesquelles sont représentés des vases en porcelaine montés en bronze doré qui faisait partie, selon F.J.B. Watson, de l’album ou catalogue d’objets envoyé par Daguerre au duc de Saxe-Teschen et à son épouse.

De cet album est notamment connu un exceptionnel vase en porcelaine céladon à monture de bronze doré qui a fait partie de la collection Qizilbash (Vente Christie’s, Paris, le 19 décembre 2007, lot 803). Relevons également qu’à cette époque, le duc et la duchesse de Saxe-Teschen faisaient construire, dans le plus pur esprit classique et sur les plans de l’architecte Charles de Wailly, le château de Laeken, près de Bruxelles, qu’ils désiraient meubler et décorer à la dernière mode parisienne. Dès 1786, après une visite à Laeken un contemporain relevait le luxe exceptionnel de la résidence : « Il y avait un nombre infini de bronzes excellents, comme aussi en pendules de tout genre, en fauteuils riches et somptueux, en chenets…C’est le palais le plus riche, le mieux meublé de ceux qui existent dans les pays circonvoisins » ; nul doute que l’extraordinaire raffinement de la pendule que nous proposons convienne parfaitement à la description enthousiaste de cet amateur du XVIIIe siècle, totalement émerveillé par le luxe hors-du-commun de Laeken.

Albert de Saxe-Teschen (1738-1822)

Le plus jeune fils d’Auguste III de Pologne, prince-électeur de Saxe et roi de Pologne, il est élevé à Dresde. En 1766 il épouse l’archiduchesse Marie-Christine de Habsbourg-Lorraine (1742-1798), sœur aînée de la reine Marie-Antoinette, et reçoit par ce mariage une fortune considérable qui va lui permettre de constituer une collection exceptionnelle d’œuvres d’art, de dessins et de tableaux, qui, selon le duc, « soit au service d’une cause plus noble que les autres collections et qui sache flatter les yeux, tout en développant l’esprit ». Sur les conseils avisés du comte Durazzo (1717-1794), ambassadeur d’Autriche à Venise, le duc débute sa collection à un rythme effréné faisant l’acquisition sur deux années de plus de trente-mille pièces auprès de son émissaire italien. Après leur Grand Tour en Italie en 1775-1776, le duc et son épouse voyage à Paris vers le milieu des années 1780 sous les noms d’emprunt de comte et comtesse de Bely. La correspondance de Marie-Antoinette nous apprend que c’est au cours de ce séjour qu’ils visitent la boutique du marchand-mercier Dominique Daguerre.

Renacle-Nicolas Sotiau (1749 - 1791)

Il doit être considéré comme le principal et le plus talentueux représentant de l’horlogerie de luxe parisienne pendant la décennie qui précède la fin de l’Ancien Régime. Après son accession à la maîtrise, le 24 juin 1782, il installe son atelier rue Saint-Honoré et rencontre immédiatement un immense succès auprès des grands amateurs de l’époque. Par l’intermédiaire des principaux marchands-merciers de la capitale, particulièrement François Darnault et Dominique Daguerre, il conçoit des mouvements de pendules, chefs-d’œuvre d’élégance, de perfectionnement et de raffinement, pour les plus grands collectionneurs. A l’instar des meilleurs horlogers parisiens, Sotiau s’entoure des plus habiles artisans afin de réaliser les caisses de ses pendules en travaillant particulièrement avec les bronziers Pierre-Philippe Thomire et François Rémond. Cette sélection tendant vers l’excellence lui permet notamment de porter le titre très convoité d’« Horloger de Monseigneur le Dauphin », fils aîné de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Ses œuvres se retrouvent fréquemment mentionnées lors des inventaires après décès ou au moment des dispersions aux enchères des collections des grandes personnalités du temps ; c’est ainsi que des pendules de Sotiau sont aussi bien décrites chez de grands financiers, notamment chez le richissime banquier de la Cour Jean-Joseph de Laborde, que chez de hauts membres du Clergé, tel François-Camille prince de Lorraine, et chez de grands aristocrates, tels Louis-Antoine-Auguste de Rohan-Chabot duc de Chabot, Charles-Just de Beauvau prince de Craon et Albert-Paul de Mesmes comte d’Avaux. Parallèlement à cette clientèle privée, l’horloger crée également de somptueuses pendules pour le prince Régent d’Angleterre, futur roi George IV, ainsi que pour Mesdames de France, tantes de Louis XVI, et pour la reine Marie-Antoinette. De nos jours, les plus grandes collections internationales conservent des pendules de Sotiau, mentionnons particulièrement celles qui sont exposées à la Walters Art Gallery de Baltimore, à la Frick Collection à New York, dans la collection Huntington à San Marino et au Musée national du Château de Versailles, ainsi que celles qui appartiennent aux collections royales espagnoles et anglaises.



Dominique Daguerre

Dominique Daguerre est le plus important marchand-mercier, comprenez marchand d’objets de luxe, du dernier quart du XVIIIe siècle. Ses débuts de carrière restent relativement méconnus et l’on peut considérer qu’il démarre véritablement son activité à partir de 1772, année de son association avec Philippe-Simon Poirier (1720-1785), autre marchand-mercier célèbre et inventeur des pièces d’ébénisterie agrémentées de plaques de porcelaine de la Manufacture royale de Sèvres. Lorsque Poirier se retire des affaires, vers 1777-1778, Daguerre prend la direction du magasin rue du Faubourg Saint-Honoré et garde la raison sociale « La Couronne d’Or ». Conservant la clientèle de son prédécesseur, il développe considérablement l’activité en quelques années et joue un rôle de premier plan dans le renouveau des arts décoratifs parisiens de l’époque en faisant travailler les meilleurs ébénistes du temps, particulièrement Adam Weisweiler, Martin Carlin et Claude-Charles Saunier, le menuisier du Garde-Meuble de la Couronne, Georges Jacob, les bronziers ou ciseleurs-doreurs Pierre-Philippe Thomire et François Rémond et les horlogers Renacle-Nicolas Sotiau et Robert Robin. Ayant porté le luxe « à la française » à son summum, Daguerre, visionnaire et homme d’affaires hors du commun, s’installe en Angleterre vers le début des années 1780 et s’associe avec Martin-Eloi Lignereux, qui reste en charge du magasin parisien. A Londres, patronné par le prince Régent, futur roi George IV, Daguerre participe activement à l’aménagement et à la décoration de Carlton House et du Pavillon de Brighton, en faisant fonctionner à merveille son réseau d’artisans parisiens important de Paris la plupart des meubles, sièges, cheminées, bronzes d’ameublement et objets d’art et facturant, uniquement pour l’année 1787, plus de 14500£ de fournitures. Impressionnés par le talent du marchand, quelques grands aristocrates anglais font également appel à ses services, particulièrement le Comte Spencer pour Althorp où Daguerre collabore avec l’architecte Henry Holland (1745-1806). A Paris, il continue, par l’intermédiaire de son associé Lignereux, à travailler pour les grands amateurs et livre de superbes pièces d’ébénisterie au Garde-Meuble de la Couronne. Probablement très affecté par les troubles révolutionnaires et la disparition de nombreux de ses clients les plus importants, il se retire définitivement des affaires en 1793.



Manufacture Royale de Sèvres

Patronnée par Louis XV et la marquise de Pompadour, la Manufacture de Vincennes voit le jour en 1740 pour concurrencer les créations de la Manufacture de Meissen, se positionnant ainsi comme sa principale rivale européenne, et sera transférée à Sèvres en 1756, devenant la Manufacture royale de porcelaine de Sèvres. De nos jours toujours en activité, elle connaîtra tout au long de son histoire d’exceptionnelles périodes de création en faisant appel aux meilleurs artistes et artisans français et européens. Rattachée aux souverains et aux empereurs, elle sera la vitrine du savoir-faire français et la plupart des créations sorties de ses ateliers seront destinées à être offertes en cadeaux diplomatiques ou à participer au décor et au faste des nombreux châteaux et palais royaux et impériaux des XVIIIe et XIXe siècles.