Importante et rare pendule de cheminée en bronze très finement ciselé, patiné « à l’antique » et doré à l’or mat ou à l’or bruni au thème de l’adolescence de Paul et Virginie
« Le Triomphe de la Vertu et de l’Innocence »
« Levol à Paris »
Dans une caisse attribuée à Pierre-Philippe Thomire
Paris, époque Consulat, vers 1800
Le cadran circulaire émaillé blanc, signé « Levol à Paris », indique les heures en chiffres romains et les minutes par tranches de quinze en chiffres arabes par deux aiguilles en cuivre repercé et doré ; il s’inscrit dans une superbe caisse néoclassique à décor de personnages entièrement réalisée en bronze très finement ciselé, patiné « à l’antique » et doré à l’or mat ou à l’or bruni. Le mouvement, à sonnerie des heures et des demies-heures, est renfermé dans une boite circulaire, à lunette soulignée de frises perlées ou alternées de feuilles d’eau et tigettes, surmontant une draperie, à franges rythmées de fines cordelettes, agrémentée d’un bandeau repercé à jeu de croisillons ; cette boite tient lieu de support au superbe groupe sommital représentant deux personnages assis côte-à-côte figurant un jeune homme et une jeune femme, cette dernière tenant dans sa main gauche une draperie voletante leur servant de parapluie ; il s’agit de la représentation d’un épisode du roman « Paul et Virginie » au cours duquel, Virginie, surprise par une ondée, se servit d’une partie de sa robe en tant que parapluie, elle la leva au-dessus de sa tête et protégea également Paul qui l’accompagnait. Le groupe, d’où émane une forte tendresse dans les attitudes et les jeux de regard, repose sur un palanquin, à brancards à l’imitation de tiges de bambou, porté par deux personnages noirs sculpturaux, vêtus de pagnes soulignés d’un bandeau à motifs brunis ou amatis ; sur la terrasse, un chien, patte avant droite levée, anime la composition. L’ensemble repose sur une base quadrangulaire à légers décrochements agrémentée de motifs en applique de palmiers et ornée, en façade, d’un panneau en réserve à décor d’une scène dans une perspective paysagée relative à l’adolescence des deux jeunes héros. Enfin, quatre pieds également ouvragés de frises feuillagées supportent l’horloge.
Avant la fin du XVIIIe siècle, le noir constitue rarement un thème décoratif pour les créations horlogères françaises et plus largement européennes. C’est véritablement à la fin de l’Ancien Régime, plus précisément dans la dernière décennie du XVIIIe siècle et dans les premières années du siècle suivant, qu’apparaissent les premiers modèles de pendules dites « au nègre » ou « au sauvage ». Cette vogue était le résultat d’un contexte social et romantique particulier. En effet, à la fin du XVIIIe siècle, sous l’impulsion des écrits philosophiques de Jean-Jacques Rousseau qui exaltait les vertus morales du retour à la Nature à travers le mythe du « bon sauvage », l’engouement pour l’exotisme fut tout particulièrement mis à la mode par la littérature contemporaine. Ainsi, le prodigieux succès littéraire de « Paul et Virginie » de Bernardin de Saint-Pierre en 1788, héritier lointain du fameux « Robinson Crusoé » de Daniel Defoe, le roman « Les Incas » de Marmontel, paru en pleine guerre de l’indépendance américaine, ainsi qu’« Atala » de Chateaubriand publiée en 1801, vont profondément bouleverser l’approche européenne des autres civilisations et même faire plonger la culture du vieux continent dans une forte nostalgie romantique liée à la quête d’un Eden païen régénéré par le christianisme. Comme souvent dans les arts décoratifs français, ce bouleversement aura sa manifestation dans certaines créations artistiques, essentiellement horlogères ou liées au luminaire. C’est dans ce contexte que fut créée la pendule que nous proposons dont le dessin particulièrement élaboré et la qualité exceptionnelle de la ciselure, de la dorure et de la patine « au naturel » des deux personnages noirs, témoignent d’un artisan-bronzier de tout premier plan, de toute évidence Pierre-Philippe Thomire, à qui ce modèle est logiquement attribué.
La composition s’inspire plus ou moins directement d’un modèle horloger, nettement moins spectaculaire et abouti, représentant un groupe de Paul et Virginie porté sur un brancard soutenu par deux jeunes porteuses noires. De ce type, moins rare, sont notamment connus : un premier exemplaire qui est conservé au Musée Duesberg à Mons (paru dans le catalogue de l’exposition « De Noir et d’Or », Pendules « au bon sauvage », Musées Royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles, 1993) ; ainsi qu’un deuxième qui est illustré dans P. Kjellberg, Encyclopédie de la pendule française du Moyen Age à nos jours, Paris, 1997, p.344 ; enfin, citons une dernière pendule de ce type qui est illustrée dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Die Bronzearbeiten des Spätbarock und Klassizismus, Band I, Munich, 1986, p.379, fig.5.15.20 ; cette dernière est rattachée à l’œuvre du bronzier parisien Louis-Isidore Choiselat, dit Choiselat-Gallien (1784-1853), l’un des meilleurs bronziers de la capitale et concurrent de Pierre-Philippe Thomire.
Contemporain de ce modèle dit « aux porteuses », les pendules « aux porteurs noirs » sont nettement plus élaborées et spectaculaires, notamment en considérant bien évidemment leurs dimensions monumentales, mais également l’originalité de leur composition parfaitement équilibrée et, enfin, par la qualité exceptionnelle de leur ciselure et de leur dorure. De plus, relevons que ce modèle se distingue également par sa rareté ; en effet, parmi les quelques exemplaires identiques répertoriés, citons particulièrement celui qui est attribué à Pierre-Philippe Thomire et exposé au Musée François Duesberg à Mons (illustré dans Musée François Duesberg, Arts décoratifs 1775-1825, Bruxelles, 2004, p.66) ; selon la tradition, l’exemplaire du Musée Duesberg aurait été directement commandé à Thomire en 1802 par Bonaparte, futur Empereur Napoléon, pour être offert à l’écrivain Bernardin de Saint-Pierre dont il admirait l’œuvre, particulièrement « Paul et Virginie ».
Pierre-Philippe Thomire (1757 - 1843)
Pierre-Philippe Thomire est le plus important bronzier parisien du dernier quart du XVIIIe siècle et des premières décennies du siècle suivant. À ses débuts, il travaille pour Pierre Gouthière, ciseleur-fondeur du roi, puis collabore dès le milieu des années 1770 avec Louis Prieur. Il devient ensuite l’un des bronziers attitrés de la manufacture royale de Sèvres, travaillant au décor de bronze de la plupart des grandes créations du temps. Après la Révolution, il rachète le fonds de commerce de Martin-Eloi Lignereux et devient le plus grand pourvoyeur de bronzes d’ameublement pour les châteaux et palais impériaux. Parallèlement, il travaille pour une riche clientèle privée française et étrangère parmi laquelle figure notamment quelques maréchaux de Napoléon. Enfin, il se retire des affaires en 1823.