Exceptionnel régulateur à complications

Caisse attribuée à Ferdinand Schwerdfeger
Paris, fin de l’époque Louis XVI, vers 1785-1790
Le cadran principal, émaillé et circulaire, indique les heures en chiffres romains, les minutes en chiffres arabes, les quantièmes, les mois et les signes du zodiaque, et marque les secondes par une trotteuse centrale. Il surmonte quatre autres cadrans qui entourent un cartouche émaillé fond bleu inscrit des initiales dorées de l’horloger : JSB ; le cadran supérieur indique les heures diurnes et nocturnes dans une multitude de capitales européennes et dans de nombreux autres lieux à travers le monde ; les deux cadrans latéraux, l’un à décor émaillé figurant une ville portuaire, l’autre représentant un paysage animé de chutes d’eau, chacun symbolisant l’Orient et l’Occident, indiquent respectivement les heures de lever et coucher du soleil et les phases et l’âge de la lune ; le cadran inférieur désigne les quantièmes et les quatre années formant le cycle des années bissextiles. Les aiguilles sont en bronze doré et ajouré et en acier bleui ; le mouvement, avec balancier gril à compensation, sonne les heures, les demies et les quarts sur trois timbres. L’ensemble est renfermé dans une superbe caisse en acajou à base pleine, à montants droits sculptés de cannelures, à fronton mouluré débordant sommé d’un amortissement à doucine et décoré de frises dentelées ou cannelées.
Excepté son rare mouvement à complications et ses très beaux cadrans émaillés, ce régulateur présente une caisse dont la qualité exceptionnelle nous permet de l’attribuer à l’ébéniste Ferdinand Schwerdfeger qui collabora régulièrement avec Bourdier et, de ce fait, avec Coteau. En effet, cet artisan en meubles semble s’être spécialisé dans la création de ce type de caisses particulièrement architecturées, sans aucun décor de bronze doré, qu’il réalisait pour les meilleurs horlogers parisiens, notamment Robert Robin, Antide Janvier et Jean-Simon Bourdier. Toutefois, relevons que la qualité hors du commun de l’exemplaire présenté nous permet de le considérer comme l’un des chefs-d’œuvre de la collaboration Bourdier-Coteau-Schwerdfeger ; il est même supérieur en tous points à l’exemplaire que Bourdier réalisa pour le roi d’Espagne, qui indique également l’heure dans de nombreuses capitales à travers le monde, qui est conservé dans les célèbres collections royales espagnoles (voir J. Ramon Colon de Carvajal, Catalogo de Relojes del Patrimonio Nacional, Madrid, 1987, p. 136, catalogue n° 116). Enfin, soulignons que le traitement particulièrement original de la partie supérieure de la caisse, en forme d’obélisque « à l’antique », témoigne une nouvelle fois de la rareté, voire de l’unicité, du modèle que nous proposons qui se distingue ainsi nettement des autres régulateurs connus de ce type.
Jean-Simon Bourdier (? - 1839)
Jean-Simon Bourdier est l’un des plus importants horlogers parisiens de la fin du XVIIIe siècle et du premier quart du siècle suivant. Il est reçu maître le 22 septembre 1787 et connaît immédiatement une grande notoriété pour la perfection de ses mouvements. Au début du XIXe siècle, il collabore avec l’horloger Godon, l’ornemaniste Dugourc et le sculpteur Pierre Julien, à quelques ouvrages d’horlogerie de compositions remarquables destinés au roi d’Espagne Charles IV. Parallèlement, il travaille pour les plus grands marchands du temps, particulièrement Daguerre et Julliot, et sélectionne rigoureusement les artisans qui participent à la création de ses pendules : notamment le ciseleur Rémond, l’ébéniste Schwerdfeger et les peintres-émailleurs Dubuisson et Coteau.
Ferdinand Schwerdfeger (1734 - 1818)
Ferdinand Schwerdfeger figure parmi les plus importants ébénistes parisiens de la fin du XVIIIe siècle. Après son accession à la maîtrise, en mai 1786, il installe son atelier dans la capitale et connaît immédiatement une grande notoriété. Cependant, son œuvre demeure relativement méconnue ; dû à sa date de maîtrise tardive et au fait que l’artisan estampilla peu. Parmi les quelques meubles qui peuvent lui être attribués avec certitude, mentionnons un ensemble livré pour Marie-Antoinette, ainsi que quelques caisses de régulateurs et de pendules dont les cadrans sont signés par les plus grands horlogers de l’époque, particulièrement Antide Janvier, Jean-Simon Bourdier et Robert Robin (voir M-A Paulin, Schwerdfeger, ébéniste de Marie-Antoinette, in L’Estampille/L’Objet d’art, octobre 2003).
Joseph Coteau (1740 - 1801)
Joseph Coteau est le plus célèbre émailleur de son temps et collabora avec la plupart des grands horlogers parisiens de l’époque. Il était né à Genève, ville dans laquelle il devint maître peintre-émailleur de l’Académie de Saint Luc en 1766 ; puis il vint s’installer à Paris quelques années plus tard. A partir de 1772, jusqu’à la fin de sa vie, il est installé rue Poupée. Coteau laissa notamment son nom à une technique précieuse d’émaux en relief qu’il mit au point avec Parpette destinée au décor de certaines pièces de porcelaine de Sèvres et qu’il utilisa par la suite pour le décor des cadrans des pendules les plus précieuses ; décorés de ce décor si caractéristique, mentionnons notamment : une écuelle couverte et son plateau qui appartiennent aux collections du Musée national de la Céramique à Sèvres (Inv. SCC2011-4-2) ; ainsi qu’une paire de vases dits « cannelés à guirlandes » conservée au Musée du Louvre à Paris (parue dans le catalogue de l’exposition Un défi au goût, 50 ans de création à la manufacture royale de Sèvres (1740-1793), Musée du Louvre, Paris, 1997, p.108, catalogue n°61) ; et une aiguière et sa cuvette dites « de la toilette de la comtesse du Nord » exposées au Palais de Pavlovsk à Saint-Pétersbourg (reproduites dans M. Brunet et T. Préaud, Sèvres, Des origines à nos jours, Office du Livre, Fribourg, 1978, p.207, fig.250). Enfin, soulignons, qu’une pendule lyre de l’horloger Courieult en porcelaine bleue de Sèvres, le cadran signé « Coteau » et daté « 1785 », est conservée au Musée national du château de Versailles ; elle semble correspondre à l’exemplaire inventorié en 1787 dans les appartements de Louis XVI au château de Versailles (illustrée dans Y. Gay et A. Lemaire, « Les pendules lyre », in Bulletin de l’Association nationale des collectionneurs et amateurs d’Horlogerie ancienne, automne 1993, n°68, p.32C).