Exceptionnelle paire de candélabres monumentaux en bronze très finement ciselé et doré à l’or mat ou à l’or bruni et porphyre vert dit « serpentine verte antique »
Attribuée à Pierre-Philippe Thomire
Candélabres : Paris, époque Empire, vers 1805-1810
Gaines : Paris, époque Restauration, vers 1820-1840
Provenance :
– Paris, collection de la Galerie Seligmann.
– Acquis en 1919 auprès de cette galerie par le Metropolitan Museum of Art, New York.
– Collection du Metropolitan Musem of Art, New York, 1919-1994 (Inv. 19.182.1-2).
– Vente Christie’s, New York, 26 avril 1994, lot 139.
Cette spectaculaire paire de candélabres « en torchères » se présente sous la forme de deux superbes personnages représentés dans l’attitude de la course et figurant pour l’un, Apollon, le visage sévère, la tête ceinte d’une couronne de laurier, le haut du corps couvert d’un drapé et portant des sandales à lanières, pour l’autre, formant pendant, Diane, les cheveux retenus par un chignon, vêtue d’une tunique légère nouée sous la poitrine et portant des sandales montantes à lanières croisées ; le dieu tient de sa main gauche une coupelle, tandis que la déesse présente une tazza dans sa main droite. Ils tiennent chacun un bouquet à quinze lumières en forme de torche à fût « en carquois » sur lequel viennent se rattacher les bras de lumière curvilignes soulignés de feuilles d’eau, palmettes, rinceaux ou rosaces. Les figures reposent sur des terrasses unies et sur des bases cylindriques à moulures à frises alternées d’acanthes et de feuilles stylisées et à chapiteaux à frises de feuilles d’eau, acanthes ou fleurons, soulignées de chapelets à olives et pirouettes ; les corps des fûts sont rythmés de motifs en applique à guirlandes retenues par des pastilles rubanées et à scènes de course des chars d’Apollon et de Diane. Enfin, les groupes sont supportés par des gaines octogonales en placage de marbre vert de mer agrémentées de frises de doubles entrelacs à fleurons et de tores rubanés de feuilles et graines de laurier.
Leur composition originale et leurs proportions monumentales tendent à prouver que ces modèles furent réalisés par l’un des meilleurs bronziers parisiens de l’époque de Napoléon, si ce n’est le meilleur. A cette époque, seuls deux ou trois artisans de la capitale étaient suffisamment importants pour fondre et assembler des pièces de si grandes dimensions : André-Antoine Ravrio, Claude Galle et, surtout, Pierre-Philippe Thomire, le bronzier le plus inventif et le plus talentueux du début du XIXe siècle, à qui nous attribuons les candélabres présentés. C’est notamment Thomire & Compagnie qui présentait à l’Exposition de Paris de 1819 «…un grand candélabre…de la plus grande richesse. » (L. Costaz, Rapport du jury central sur les produits de l’industrie française, présenté à S.E.M. le comte Decazes, Imprimerie royale, Paris, 1819, p.213), et c’est également ce même artisan qui collaborait régulièrement avec les architectes Percier et Fontaine, auteurs du Recueil de décorations intérieures dans lequel un projet décoratif dût servir de modèles d’inspiration aux représentations des chars de Diane et d’Apollon qui décorent les bases des candélabres proposés (illustré dans le catalogue de l’exposition Charles Percier, Architecture and Design in an Age of Revolutions, Musée national du Château de Fontainebleau, 2017, p.124, fig.6.2).
A ce jour, seules cinq autres paires de candélabres de modèle identique sont connues, avec parfois certaines variantes, notamment dans l’aspect doré ou patiné « à l’antique » des figures d’Apollon et de Diane : une première paire, très certainement achetée à Paris vers 1810 pour l’ameublement de Frédéric III de Wurtemberg (1754-1816), appartient aux collections du Château de Ludwigsburg dans le Land de Bade-Wurtemberg en Allemagne (Inv. TRGT 5502-5503) (illustrée dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Die Bronzearbeiten des Spatbarock und Klassizismus, Munich, 1986, p.330, figs.5.2.5 et 5.2.6) ; une deuxième paire, provenant probablement des anciennes collections impériales napoléoniennes, fait partie des collections du Mobilier national et est exposée dans les salons du Quai d’Orsay, actuel Ministère des Affaires étrangères (reproduite dans Le Quai d’Orsay, Paris, 1991, p.107) ; deux paires, à six lumières et sans base, appartiennent aux collections royales anglaises à Buckingham Palace (Inv. RCIN 2718) ; enfin, une cinquième paire figure dans les collections du Palais Schwarzenberg à Vienne.
Cette dernière paire, dite « paire Schwarzenberg », est la mieux documentée et apporte de nombreuses et précieuses informations sur ces modèles spectaculaires. En effet, nous savons qu’elle fut achetée à Paris le 17 janvier 1805 par le comte Schwarzenberg auprès du marchand de meubles et de curiosités André Coquille ; la facture, toujours conservée dans les archives Schwarzenberg, indique le prix d’achat 14 000 francs, somme colossale, et leur désignation de l’époque : « les Camilles ». Un peu plus d’une dizaine d’années plus tard, en 1819, elle figura à l’Exposition des Produits de l’Industrie française. Leur présentation au public nous est notamment connue par une gravure tirée du Recueil d’ornements du dessinateur et graveur parisien Charles-Pierre-Joseph Normand (1765-1840) conservé à l’Institut national d’Histoire de l’Art à Paris, ancienne Bibliothèque Jacques Doucet (voir H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Band I, Munich, 1986, p.390, fig.5.17.1).
Concernant la provenance des candélabres que nous proposons, nous savons qu’ils furent longtemps exposés ou conservés dans les célèbres collections du Metropolitan Museum of Art de New York, puis réapparurent sur le Marché de l’art new-yorkais au milieu des années 1990 lors de la dispersion aux enchères de certaines pièces exceptionnelles appartenant à ce musée américain. Auparavant, nous savons qu’ils étaient présentés au début du XXe siècle à la Galerie Seligmann à Paris. Fondée par Jacques Seligmann (1858-1923), cette dernière était devenue en l’espace de quelques décennies, la plus grande galerie parisienne de meubles anciens et d’objets d’art de luxe. Rapidement, elle avait acquis une grande renommée internationale et comptait parmi sa clientèle les plus grands collectionneurs européens et américains, notamment le comte Moïse de Camondo, le banquier Edmond de Rothschild, l’industriel Henry Clay Frick et le financier John Pierpont Morgan. Reconnus pour leur talent pour découvrir les objets rares et exceptionnels, les Seligmann n’achetaient que des pièces hors-du-commun dans les plus prestigieuses collections internationales ; ainsi, ils firent notamment l’acquisition de la totalité de la partie privée de la collection Hertford-Wallace, dont l’autre partie est exposée de nos jours à la Wallace Collection à Londres.
Pierre-Philippe Thomire (1757 - 1843)
Pierre-Philippe Thomire est le plus important bronzier parisien du dernier quart du XVIIIe siècle et des premières décennies du siècle suivant. À ses débuts, il travaille pour Pierre Gouthière, ciseleur-fondeur du roi, puis collabore dès le milieu des années 1770 avec Louis Prieur. Il devient ensuite l’un des bronziers attitrés de la manufacture royale de Sèvres, travaillant au décor de bronze de la plupart des grandes créations du temps. Après la Révolution, il rachète le fonds de commerce de Martin-Eloi Lignereux et devient le plus grand pourvoyeur de bronzes d’ameublement pour les châteaux et palais impériaux. Parallèlement, il travaille pour une riche clientèle privée française et étrangère parmi laquelle figure notamment quelques maréchaux de Napoléon. Enfin, il se retire des affaires en 1823.