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Le Roy  -  Cressent
Pierre II Le Roy (1687-1762)
Charles Cressent (1685-1768)

Exceptionnelle pendule d’applique rocaille et son cul-de-lampe en bronze finement ciselé et doré et marqueterie de métal dite « Boulle » de laiton sur fond d’écaille ou d’ébène

« Cartel à masque de femme du Premier modèle »

APF_Cartel027_02

Dans une caisse attribuée à Charles Cressent

Paris, début de l’époque Louis XV, vers 1735

Hauteur127 Largeur55 Profondeur47

Le cadran circulaire en cuivre, agrémenté de fleurettes délicatement ciselées, est signé « Pierre Leroy à Paris » sur une plaque centrale émaillée et indique, par deux aiguilles en acier poli, les heures en chiffres romains sur douze cartouches émaillés, ainsi que les graduations des minutes par tranches de cinq sur sa bordure extérieure ; il s’inscrit dans une caisse violonée entièrement décorée, en façade et à l’arrière de bronzes très finement ciselés et dorés, et sur les côtés en marqueterie de métal dite « Boulle première partie » composée d’un décor stylisé formé de motifs trilobés ou quadrilobés renfermant des formes géométriques, de croisillons animés de fleurettes, de fleurons, d’ombilics centrés de feuillages…en laiton incrusté sur un fond d’écaille brune ou d’ébène. L’amortissement est orné d’une figure de putto, très légèrement drapé et assis sur des nuées, qui lève sa main gauche dans laquelle il tient un stylet ; le chérubin repose sur un chapiteau curviligne souligné d’une frise d’entrelacs centrés de cabochons se terminant en volutes et renfermant un décor repercé et rayonnant à motifs de chutes de fleurettes s’épanouissant vers une large fleur stylisée qui se détache sur un fond de tissu rouge incarnat. Le mouvement est flanqué de crosses à enroulements, soulignées de frises godronnées et de guirlandes tombantes fleuries et feuillagées, se prolongeant vers quatre pieds sinueux décorés de larges palmes en relief reposant sur des entablements quadrangulaires supportés par des sphères. Sous le cadran, un superbe masque féminin, les cheveux se croisant sous le menton, surmonte un motif trilobé et est sommé d’une coquille qui se détache d’un cartouche à crosses dans un environnement de croisillons centrés de fleurettes sur un fond de tissu incarnat.

La pendule repose sur son cul-de-lampe, dont la terrasse curviligne est bordée d’une lingotière moulurée, décoré en marqueterie Boulle dite « première partie » ou « deuxième partie » de laiton et d’écaille brune à motifs d’un damier centré de quartefeuilles dans un encadrement à double filet et d’un médaillon à frises feuillagée, fleurie ou géométrique. L’ensemble est très richement rehaussé d’ornementation de bronze très finement ciselé et doré tels que montants, à crosses terminées en enroulements soulignées de frises d’entrelacs centrés de cabochons, sur lesquels reposent deux coqs fièrement dressés aux ailes déployées et au plumage finement ciselé, masque de satyre barbu coiffé de motifs en panache de bandelettes et ombilic ajouré, souligné de feuilles d’acanthe en rinceaux et de motif rayonnant, centré d’une rosace tournoyante et terminé par une coquille déchiquetée soulignée de volutes.

Vers le milieu des années 1730, Charles Cressent crée un type de cartel à la composition particulièrement aboutie qui devient l’un de ses modèles à succès. Le dessin présente des pieds formés de palmes soulignées de fleurs et un masque féminin coiffé d’une coquille flanqué de motifs de croisillons ajourés. Alexandre Pradère, qui a dressé la typologie des œuvres de Cressent, le qualifie de « premier modèle », puis par la suite l’ébéniste-sculpteur le retravaillera dans un esprit plus rocaille baptisé « second modèle », dont la fabrication sera reprise quelques décennies plus tard par les bronziers Saint-Germain (voir Charles Cressent, sculpteur, ébéniste du Régent, Dijon, 2003, p.176-183). Le modèle qui nous intéresse particulièrement, puisqu’il correspond à celui que nous proposons, est le « premier modèle » qui rencontra immédiatement un immense succès auprès des amateurs du temps et qui fut décliné à quelques reprises par Cressent en l’associant avec des consoles d’applique ou culs-de-lampe lui servant de support, dont il exécuta essentiellement trois variantes. Le premier type figure un lion paraissant surgir de motifs stylisés et semble être stylistiquement le plus ancien ; quatre exemplaires de ce type sont actuellement connus dont un appartient aux collections du Musée des Arts décoratifs à Paris (paru dans H. Ottomeyer et P. Pröschel, Vergoldete Bronzen, Die Bronzearbeiten des Spätbarock und Klassizismus, Band I, Munich, 1986, p.79, fig.1.12.6), tandis qu’un deuxième est conservé au Musée du Louvre (voir D. Alcouffe, A. Dion-Tenenbaum et G. Mabille, Les bronzes d’ameublement du Louvre, Dijon, p.68, catalogue n°29) ; notons qu’une déclinaison de ce cul-de-lampe, sur lequel est substituée la figure d’un coq à celle du lion, est répertoriée (voir T. Dell, « The gilt bronze cartel Clocks of Charles Cressent », in Burlington Magazine, avril 1967, p.213, fig.36).

Le deuxième type de socle est centré d’une tête de Borée soufflant sur ses plumes ; de ce modèle est notamment connu un premier exemplaire, le mouvement signé « Etienne Lenoir » et provenant des collections du fermier-général Marin de la Haye, qui est conservé au Musée Condé à Chantilly (reproduit Anne Forray-Carlier, Le mobilier du château de Chantilly, Editions Faton, Dijon, 2010, p.49, catalogue n°7) ; ainsi qu’un second acquis en vente publique en 1975 par le Musée national du château de Versailles (illustré dans Pierre Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, 1999, p.283, fig.315), qui pourrait correspondre à l’horloge qui fut livrée au château de Versailles en février 1745 par l’horloger Jean-Baptiste Baillon pour la chambre de l’Infante Marie-Thérèse-Raphaëlle d’Espagne, épouse du Dauphin de France ; elle était décrite ainsi dans le Journal du Garde-meuble de la Couronne : « N°42. Une belle pendule en bronze doré d’or moulu faite par Jean-Baptiste Baillon, dont le cadran est d’émail et les aiguilles de bronze doré, portée sur deux consoles accompagnées de palmes, au milieu desquelles est un masque de femme : sur les côtés sont des ornements en mosaïques et deux bouquets de fleurs : le haut est terminé d’un amour tenant de sa main gauche une faulx : le pied aussi de bronze doré, orné de rocailles, fleurs, plumes, deux dragons et d’une tête de Borée, haute de 4 pieds avec le pied sur 14 pouces de large » (Archives Nationales, Maison du Roi, Série O/1/3313, folio 172).

Enfin, le troisième type de cul-de-lampe correspond au modèle que nous présentons ; il est le plus rare dans l’œuvre de Charles Cressent puisque seuls deux autres exemplaires sont répertoriés. Le premier, maintenant dépourvu de son horloge et du masque de satyre barbu, appartient aux collections du Musée des arts décoratifs à Paris, don Larcade en 1938 (illustré dans Alexandre Pradère, Charles Cressent, sculpteur, ébéniste du Régent, Editions Faton, Dijon, 2003, p.180, catalogue n°202B) ; le second, provenant de la Fondation Groves, est conservé au Minneapolis Institute of Art ; il présente quelques différences avec le modèle proposé, notamment dans le traitement de la figure sommitale et du piétement (reproduit dans J-D. Augarde, « Jean-Joseph de Saint-Germain bronzier (1719-1791), Inédits sur sa vie et son œuvre », in L’Estampille/L’Objet d’art, n°308, décembre 1996, p.69, fig.9).

Pierre II Le Roy (1687 - 1762)

Pierre II Leroy ou Le Roy est issu de l’une des plus importantes dynasties d’horlogers français active tout au long du XVIIIe siècle et dans les premières décennies du siècle suivant. Fils de Pierre Julien Le Roy, maître horloger à Tours, il débute sa formation avec son frère Julien II Le Roy (1686-1759), dans l’atelier paternel, puis, il décide de venir s’installer dans la capitale en 1710 où il travaille comme compagnon et ouvrier libre. Il obtient ses lettres de maîtrise le 30 octobre 1721 par arrêt du 1721 le relevant du défaut d’apprentissage et débute véritablement sa carrière en installant son atelier Cour de Lamoignon.

Immédiatement, il rencontre un immense succès auprès des grands amateurs du temps qui l’oblige à déménager dans des locaux plus importants et à se fixer Place Dauphine en 1738, rue Dauphine en 1757 et rue de Hurepoix en 1762. Membre actif de la célèbre Société des Arts, il est particulièrement reconnu et apprécié au sein de sa corporation et obtient le poste de Garde-visiteur entre 1744 et 1748. Parallèlement à son activité professionnelle, l’horloger travaille aux perfectionnements des mouvements du décompte du temps en présentant à plusieurs reprises des inventions à l’Académie des Sciences, notamment en 1728 une horloge indiquant le temps vrai et un cercle d’équation.

A l’instar des meilleurs artisans parisiens de l’époque, Pierre II Le Roy s’entoure des meilleurs ébénistes et bronziers pour l’exécution des caisses de ses horloges en collaborant particulièrement avec les Caffieri, Jean Goyer, Joseph de Saint-Germain et Charles Cressent, tous choisis parmi les plus talentueux artisans en meubles et bronziers du temps. Fournisseur du Garde-meuble de la Couronne par l’intermédiaire du marchand-mercier Thomas-Joachim Hébert, il réussit à se composer une exceptionnelle clientèle privée qui comprenait notamment certaines grandes personnalités de la haute aristocratie tels le prince de Condé, le maréchal de Richelieu et les duchesses d’Halincourt et du Maine, ainsi que des membres du monde de la banque ou de la finance tels messieurs Grimod du Fort, Bouret de Valroche et Gaignat, le banquier de la Cour Nicolas Beaujon et Madame Paris de Montmartel. De nos jours, certaines de ses réalisations appartiennent aux plus importantes collections privées et publiques internationales, citons celles exposées à la Residenz de Munich, dans les collections royales espagnoles « Patrimonio Nacional » et au Musée du Louvre à Paris.



Charles Cressent (1685 - 1768)

Charles Cressent figure parmi les plus importants ébénistes parisiens du XVIIIe siècle et est probablement le plus célèbre artisan en meubles de l’esprit Régence qu’il véhicula dans ses réalisations d’ébénisterie et de sculpture tout au long de sa carrière. Fils d’un sculpteur du Roi, il s’exerce à la sculpture à Amiens où réside son grand-père, lui-même sculpteur et fabricant de meubles. Ses débuts sont donc dominés par l’apprentissage des techniques de la sculpture, si bien qu’en 1714, c’est en présentant une œuvre dans cette spécialité qu’il est reçu à l’Académie de Saint Luc. Il s’établit alors à Paris et commence à travailler pour certains confrères, puis épouse la veuve de l’ébéniste Joseph Poitou, ancien ébéniste du duc Philippe d’Orléans, alors Régent du royaume. Par ce mariage, il prend en charge la direction de l’atelier et continue l’activité si brillamment qu’il devient à son tour le fournisseur privilégié du Régent, puis à la mort de ce dernier, en 1723, de son fils Louis d’Orléans qui lui passe de nombreuses commandes et lui assure une grande prospérité au cours de ces années-là. Rapidement sa notoriété dépasse les frontières du royaume et certains princes et rois européens commandent des œuvres à l’ébéniste, particulièrement le roi Jean V du Portugal et l’Electeur Charles Albert de Bavière. En France, il s’était composé une riche clientèle privée comprenant des membres de la haute aristocratie, tel le duc de Richelieu, et des grands collectionneurs, notamment le puissant trésorier général de la marine Marcellin de Selle. Cressent n’aura de cesse tout au long de sa carrière de créer, à l’encontre des lois de la corporation des bronziers, ses propres modèles de bronzes fondus dans son atelier ; cette particularité, que l’on retrouve également chez André-Charles Boulle, apporte à son œuvre une grande homogénéité et démontre surtout ses talents exceptionnels de sculpteur.