Exceptionnel et monumental cartel d’applique rocaille dit « au Chinois astronome » en bronze très finement ciselé et doré
Modèle dit « du Prince de Soubise »
Dans une caisse attribuée à Jean-Joseph de Saint-Germain
Paris, époque Louis XV, vers 1745-1749
Provenance :
– Peut-être l’exemplaire décrit en février 1749 dans l’inventaire après décès de Hercule Mériadec de Rohan-Soubise duc de Rohan prince de Soubise : « Dans la chambre à coucher en suite du salon où mon dit seigneur prince de Rohan est décédé ayant aussi vue sur le jardin dudit hôtel de Soubize : Une pendule faite en œil par Jean-Baptiste Baillon dans sa boite ornée d’une figure chinoise tenant une sphère et de deux animaux de bronze doré d’or moulu 1000 livres ».
Le cadran circulaire en cuivre doré, gravé de rinceaux, fleurettes et lambrequins, est à vingt-cinq cartouches émaillés blanc indiquant les heures en chiffres romains et les minutes par tranches de cinq en chiffres arabes par deux aiguilles en acier poli-bleui ; le centre est à médaillon émaillé signé « J. Baptiste Baillon ». Le mouvement, sonnant les heures et demi-heures, s’inscrit dans une superbe et monumentale caisse rocaille entièrement réalisée en bronze très finement ciselé et doré. L’amortissement est formé d’une figure représentant un Chinois, vêtu et coiffé à la mode de l’Extrême-Orient, tenant une sphère armillaire ; il est assis sur un large motif rocaille à décor d’ondes et de coquille ; sur sa droite se trouve un dragon, gueule largement ouverte, queue entortillée et ailes déployées. Les côtés de la caisse sont richement agrémentés d’ondes, branchages fleuris et feuillagés, crosses et réserves repercées tendues de tissu couleur lie de vin à croisillons centrés de fleurettes. La partie inférieure et le culot sont à décor de crosses, entrelacs centrés de cabochons, réserves sinueuses à fond amati, palmes, branchages feuillagés, ondes, fleur de tournesol, aile de chauve-souris, rinceaux…au centre, un échassier aux ailes déployées regarde vers le haut du cartel et tient un bloc de rocher dans les griffes de sa patte droite.
Réalisé dans le plus pur esprit rocaille du milieu des années 1740, cet exceptionnel cartel s’inscrit parmi les chefs-d’œuvre de l’horlogerie parisienne de luxe de cette époque. Ses proportions monumentales, la qualité de sa fonte, la précision de sa ciselure, la parfaite maîtrise de sa dorure « au mercure », ainsi que sa thématique « chinoisante » rare et originale ayant trait au goût du temps pour l’Extrême-Orient, nous permettent de l’attribuer à l’œuvre de Jean-Joseph de Saint Germain, l’un des plus talentueux bronziers parisiens de cette période. A notre connaissance, un seul autre cartel de composition identique est répertorié : également signé par Jean-Baptiste III Baillon, il se distingue du modèle que nous proposons par son cadran entièrement émaillé et porte le poinçon du C couronné permettant de dater le modèle vers 1745-1749 ; il appartient aux célèbres collections du comte et de la comtesse de Rosebery à Dalmeny House, West Lothian (illustré dans J-D. Augarde, Les ouvriers du Temps, La pendule à Paris de Louis XIV à Napoléon Ier, Antiquorum Editions, Genève, 1996, p.31, fig.13, et dans J. Whitehead, The French Interior in the Eighteenth Century, Londres, 2009, p.151).
Le cartel que nous proposons ou, bien logiquement, celui identique conservé à Dalmeny House, figurait au milieu du XVIIIe siècle chez l’un des plus importants collectionneurs de son temps : Hercule-Mériadec de Rohan-Soubise duc de Rohan prince de Soubise (1669-1749). En effet, suite au décès du prince, un inventaire de ses collections fut effectué dans lequel était décrite : « Dans la chambre à coucher en suite du salon où mon dit seigneur prince de Rohan est décédé ayant aussi vue sur le jardin dudit hôtel de Soubize » : « Une pendule faite en œil par Jean-Baptiste Baillon dans sa boite ornée d’une figure chinoise tenant une sphère et de deux animaux de bronze doré d’or moulu ». Prisé pour la somme exceptionnelle de 1000 livres, alors que dans le même inventaire une paire de coffres de Boulle était évaluée 900 livres, le cartel demeura en place tout au long du XVIIIe siècle à l’Hôtel de Soubise et réapparu au moment du décès de Charles de Rohan prince de Soubise (1715-1787) qui avait hérité de l’hôtel et de ses collections ; ainsi, toujours inventorié dans la chambre à coucher du prince, se trouvait : « Une pendule du nom de Baptiste Baillon dans son cartel de cuivre doré d’or moulu 150 livres ». La différence importante entre l’estimation de 1749 et celle de 1787 se justifie par le renouvellement total du goût pour le Néoclassicisme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La lumière aurait pu être faite sur cette provenance si les notaires-priseurs avaient décrit plus précisément le cadran « en émail » ou « en cuivre et heures émaillées » nous permettant ainsi de différencier lequel, entre le cartel proposé et celui de Dalmeny House, correspond au cartel « du Prince de Soubise ».
Jean-Baptiste III Albert Baillon (? - 1772)
Cet excellent horloger, également un grand innovateur, est considéré par F.J. Britten comme étant « l’horloger le plus riche de l’Europe » à son époque. L’un des meilleurs horlogers de son temps, il appartient à l’une des plus importantes dynasties horlogères du XVIIIème siècle, étant sans doute le plus célèbre membre de la famille. Sa réussite est due, entre autres, à l’importante manufacture privée qu’il fonda à Saint-Germain-en-Laye, établissement unique dans l’histoire de l’horlogerie du XVIIIème siècle.
Dirigée de 1748 à 1757 par Jean Jodin (1715-61), elle continue de fonctionner jusqu’à ce que Baillon la ferme en 1765. Le célèbre horloger Ferdinand Berthoud fut impressionné par la quantité et la qualité de ses produits ; en 1753 il nota : « Sa maison est le plus bel et riche Magasin de l’Horlogerie. Les Diamant sert non seulement à décorer ses montres, mais même des Pendules ; Il en a fait dont les Boetes étoïent de petits Cartels d’Or, ornés de fleurs de Diamans imitant la Nature… Sa maison de St-Germain est une espèce de Manufacture. Elle est remplie d’Ouvriers continuellement occupés pour lui… puisque lui seul fait une bonne partie de l’Horlogerie ».
La clientèle de Baillon comprend les familles royales françaises et espagnoles et le Garde-Meuble de la Couronne, ainsi que des personnalités influentes à la cour et dans la bonne société parisienne.
Le père de Baillon, Jean-Baptiste II (m. 1757) est un maître horloger parisien ; son grand-père, Jean-Baptiste I de Rouen, était également un horloger. Son fils, Jean-Baptiste IV Baillon (1752 – vers 1773) devient aussi horloger. Baillon lui-même est fait maître-horloger en 1727. En 1738 il est nommé valet de chambre-horloger ordinaire de la reine, puis, avant 1748, premier valet de chambre de la reine, et en 1770, premier valet de chambre et valet de chambre-horloger ordinaire de la dauphine de Marie-Antoinette. Dès 1738 il s’établit Place Dauphine ; après 1751 on le trouve rue Dauphine.
Baillon était très exigeant quant à la qualité des boîtes et des cadrans. Ces derniers étaient fournis par Antoine-Nicolas Martinière et Chaillou ; les boîtes étaient de Jean-Baptiste Osmond, Balthazar Lieutaud, les Caffieri, Vandernasse, et Edmé Roy Jean-Joseph de Saint-Germain (qui a également fait des boîtes à l’éléphant et au rhinocéros).
Jean-Baptiste Baillon s’enrichit grâce à son succès ; à sa mort le 8 avril 1772, on estime sa fortune à 384,000 livres. Une première vente de sa collection d’art et d’objets d’art est tenue le 16 juin 1772 ; les objets restant, évalués à 55,970 livres, sont offerts à nouveau le 23 février 1773. La vente comprend 126 montres terminées pour un total de 31,174 livres, et 127 mouvements de montres terminés, à 8,732 livres. La catégorie des pendules, dont la valeur montait à 14,618 livres, comprend 86 pendules, 20 mouvements de pendules, sept boîtes de pendules en marqueterie, une boîte en porcelaine et huit en bronze.
Aujourd’hui l’œuvre de Baillon est conservée dans les collections les plus prestigieuses du monde, y compris les musées du Louvre, des Arts Décoratifs, le conservatoire national des arts et métiers, le Petit Palais et le musée Jacquemart-André à Paris ; le château de Versailles ; le musée Paul Dupuy à Toulouse ; la Residenz Bamberg ; le Neues Schloss, Bayreuth; le Museum für Kunsthandwerk, Frankfurt ; la Residenz à Munich et le château Schleissheim. D’autres exemples sont dans les collections des musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles ; le Patrimonio Nacional d’Espagne ; le Metropolitan Museum de New York ; le Newark Museum ; Walters Art Gallery de Baltimore et Dalmeny House, South Queensferry.
Jean-Joseph de Saint-Germain (1719 - 1791)
Est probablement le plus célèbre bronzier parisien du milieu du XVIIIe siècle. Actif à partir de 1742, il est reçu maître en juillet 1748. Il est surtout connu pour la création de nombreuses caisses de pendules et de cartels qui firent sa notoriété, notamment le cartel dit à la Diane chasseresse (voir un exemplaire conservé au Musée du Louvre), la pendule supportée par deux chinois (voir un modèle de ce type aux Musée des Arts décoratifs de Lyon), ainsi que plusieurs pendules à thématiques animalières, essentiellement à éléphants et rhinocéros (exemple au Musée du Louvre). Vers le début des années 1760, il joue également un rôle primordial dans le renouveau des arts décoratifs parisiens et dans le développement du courant néoclassique, en réalisant notamment la pendule dite au génie du Danemark sur un modèle d’Augustin Pajou pour Frédéric V du Danemark (1765, conservée à l’Amalienborg de Copenhague). Saint-Germain crée plusieurs pendules inspirées par le thème de l’Etude, sur un modèle de Louis-Félix de La Rue (exemples au Louvre, à la Fondation Gulbenkian, Lisbonne, et au Musée Metropolitan de New York).
Parallèlement à ses créations horlogères, Saint-Germain réalise également de nombreux bronzes d’ameublement – y compris chenets, appliques, et candélabres – en faisant toujours preuve de la même créativité et démontrant ses talents exceptionnels de bronzier. Il se retire des affaires en 1776.